Les origines de la moxibustion, une thérapie traditionnelle chinoise impliquant l'application de chaleur thérapeutique via la combustion d'armoise séchée (moxa) sur des points précis du corps, remontent vraisemblablement à la dynastie Shang, aussi dénommée dynastie Yin (environ 1600–1046 av. J.-C.). Des inscriptions oraculaires gravées sur des plastrons de tortue et des omoplates d'animaux — connues sous le nom de Jiagu Wen (甲骨文) — indiquent que les anciens Chinois employaient déjà des méthodes de chaleur localisée pour des objectifs curatifs. Bien que ces artefacts soient essentiellement liés à des pratiques divinatoires, certaines expressions et références évoquent des traitements visant à atténuer des douleurs et divers maux, reflétant une proto-médecine empirique où le feu, symbole de yang dans la théorie yin-yang, jouait un rôle central dans la culture antique chinoise.

En outre, ces inscriptions laissent supposer que la moxibustion était pratiquée avant l’émergence de l’acupuncture comme système formalisé. Ces textes suggèrent une connaissance préliminaire des trajets énergétiques, plus tard appelés méridiens, bien avant leur codification systématique dans les textes médicaux des dynasties Qin et Han. Cette hypothèse est renforcée par le fait que la moxibustion, mentionnée dans les manuscrits de Mawangdui, semble avoir joué un rôle clé dans l’identification des points thérapeutiques, qui deviendront centraux dans l’acupuncture.

Explication :

  • Les Jiagu Wen mentionnent des applications de chaleur pour soulager des douleurs, ce qui ressemble à la moxibustion. Ces références sont antérieures aux premières descriptions claires de l’acupuncture (qui implique des aiguilles), suggérant que la moxibustion pourrait être une pratique plus ancienne.
  • Les manuscrits de Mawangdui (Qin-Han) décrivent des méridiens et des points spécifiques pour la moxibustion, mais sans mentionner explicitement l’usage d’aiguilles, ce qui indique que la moxibustion a peut-être contribué à conceptualiser les méridiens avant que l’acupuncture ne les intègre pleinement.
  • Les chercheurs comme Harper (1998) et Unschuld (1985) soutiennent que la moxibustion, en tant que technique plus simple (application de chaleur), a pu précéder l’acupuncture, qui nécessite des outils plus sophistiqués (aiguilles métalliques) et une théorisation plus avancée du qi et des méridiens.

Une documentation plus élaborée émerge plusieurs siècles après, suite à la fouille archéologique de 1973 à Mawangdui, dans la province du Hunan. Ces rouleaux de soie et de bambou, remontant aux dynasties Qin (221–206 av. J.-C.) et Han (206 av. J.-C.–220 ap. J.-C.), fournissent un panorama détaillé de la moxibustion à cette période, marquant un tournant dans l'histoire de la médecine chinoise. Parmi les découvertes de la tombe n° 3, qui abritait les restes de Li Xi, un homme d'une trentaine d'années décédé vers 168 av. J.-C. et fils du chancelier Li Cang (marquis de Dai du royaume de Changsha), trois traités majeurs se démarquent par leur focus sur cette pratique :

  • Le Canon de moxibustion des onze méridiens yin et yang (version A) (Yinyang shiyimai jiujing – jiaben), qui décrit les méridiens corporels et les points d'application pour corriger les déséquilibres énergétiques.
  • Le Canon de moxibustion des onze vaisseaux du pied et de l’avant-bras, qui se concentre sur des zones anatomiques spécifiques et complète l'approche des méridiens.
  • Les Prescriptions pour 52 affections (Wushier Bingfang), un recueil pionnier qui énumère en réalité 103 pathologies (bien que le titre évoque 52), propose 283 formules thérapeutiques variées — incluant des remèdes à base de plantes, des incantations et des rituels — et expose huit protocoles détaillés de moxibustion.

Ces manuscrits, conservés dans des conditions anaérobies grâce à des couches d'argile blanche et de charbon, témoignent d'une sophistication remarquable : ils distinguent divers types de moxibustion (directe avec cicatrisation, directe sans cicatrice, indirecte via des supports comme le gingembre ou l'ail), des indications précises basées sur les points d'acupuncture et les méridiens, ainsi que des directives pour le suivi post-traitement, y compris des conseils sur l'hygiène et les réactions attendues.

L'étude de ces textes a révélé que la moxibustion a potentiellement joué un rôle central dans l'émergence du concept de méridiens, antérieur à l'acupuncture complète, et qu'elle était intégrée à d'autres modalités comme les exercices daoyin (précurseurs du qigong), les sorts chamaniques et les massages, formant un système holistique de santé.

Par exemple, ils listent jusqu'à 81 conditions traitables par moxibustion, couvrant des troubles allant des douleurs articulaires aux désordres internes, et soulignent son utilisation pour harmoniser le qi et stimuler la transmission méridienne.

Quelques siècles plus tard, au cours de la dynastie des Han postérieurs et au-delà, la pratique évolue davantage. Bian Que, un médecin semi-légendaire du Ve siècle av. J.-C., est souvent crédité comme le premier spécialiste de la moxibustion, affirmant dans son œuvre Bian Que Neijing qu'elle surpassait l'acupuncture en ajoutant de l'énergie nouvelle au corps pour traiter à la fois les excès et les déficiences. Puis, Huangfu Mi (215–282 ap. J.-C.), sous la dynastie Jin, compile le Canon de l’acupuncture et de la moxibustion (Zhenjiu Jiayi Jing), un ouvrage fondateur qui consolide les savoirs accumulés, structure les liens entre acupuncture et moxibustion, et pose les bases pour les générations futures en intégrant des théories cosmologiques et philosophiques taoïstes.

Cette évolution se poursuit aux dynasties Song (avec des représentations artistiques comme l'œuvre Moxibustion de Li Tang) et Qing, où Zhang Youheng publie en 1869 le Chuanwu lingji lu, un traité illustré en couleurs détaillant des applications spécifiques pour divers maux. La moxibustion s'exporte également vers le Japon, la Corée, le Vietnam et la Mongolie, avec des adaptations locales, et atteint l'Occident au XVIe siècle via des missionnaires portugais, qui la nomment "botão de fogo" (bouton de feu), avant sa popularisation en Europe par Hermann Buschoff en 1674.

Aujourd'hui, la moxibustion reste une composante essentielle de la médecine traditionnelle chinoise, reconnue pour ses effets sur la douleur, l'immunité et la circulation, avec des études modernes explorant ses mécanismes, comme la stimulation thermique et les effets anti-inflammatoires.

Ces racines antiques, ancrées dans les découvertes de Mawangdui, illustrent comment une pratique primitive a évolué en un système thérapeutique raffiné influençant la médecine mondiale.

Références :

  • Harper, D. (1998). Early Chinese Medical Literature: The Mawangdui Medical Manuscripts. Kegan Paul International.
  • Unschuld, P. U. (1985). Medicine in China: A History of Ideas. University of California Press (éditions ultérieures disponibles).
  • Huang, C., & Liang, Z. (2017). Moxibustion in Early Chinese Medicine and Its Relation to the Origin of Meridians: A Study on the Unearthed Literatures. Evidence-Based Complementary and Alternative Medicine.
  • Autres sources consultées via recherches web : Wikipédia sur Moxibustion et Mawangdui (2025), articles PMC et Semantic Scholar sur l'histoire de la moxibustion.

https://pmc.ncbi.nlm.nih.gov/articles/PMC5337347/

https://pmc.ncbi.nlm.nih.gov/articles/PMC9491495/

https://www.heraldopenaccess.us/openaccess/origin-of-chinese-medicine-acupuncture-moxibustion

https://en.wikipedia.org/wiki/Mawangdui

https://www.amazon.com/Chinese-Medical-Literature-Donald-Harper/dp/1138968080

https://archive.org/details/early-chinese-medical-literature-mawangdui-manuscripts-donald-harper

https://onlinelibrary.wiley.com/doi/abs/10.1155/2017/8242136

https://www.semanticscholar.org/paper/Moxibustion-in-Early-Chinese-Medicine-and-Its-to-of-Huang-Liang/355ab32d20fdf0272d56858dda95da387e8458b9

https://www.researchgate.net/publication/313848330_Moxibustion_in_Early_Chinese_Medicine_and_Its_Relation_to_the_Origin_of_Meridians_A_Study_on_the_Unearthed_Literatures

https://www.medsci.org/v08p0s26.htm

https://en.wikipedia.org/wiki/Moxibustion

https://www.amazon.com/Medicine-Comparative-Studies-Systems-Medical/dp/052026613

https://pmc.ncbi.nlm.nih.gov/articles/PMC3789413/